Claire Berest, Bellevue (Stock, 2016)

 

claire berest

Sans procéder à une analyse de détail, je voudrais seulement dire un mot du point de vue à travers lequel l’histoire est racontée. Le procédé narratif de Bellevue de Claire Berest rappelle beaucoup Celle que vous croyez de Camille Laurens, que j’évoquais ici. Une femme, internée en cellule psychiatrique (à l’hôpital de Bellevue), reconstitue, par bribes de récit, la folie à la fois soudaine et progressive qui a conduit à son internement. Cette similitude m’interpelle. Dans deux romans contemporains, donc, la narratrice est prise pour une malade. Sa prise de parole elle-même est le symptôme de sa maladie – aussi bien, une femme en bonne santé garde le silence, semblent penser les médecins dans ces deux fictions.

La « psychiatrisation » de l’affirmation de soi des femmes par la médecine est le sujet d’un livre paru aussi en 2016 dans les éditions Cambourakis (que j’avais déjà recommandées ici) : Fragiles ou contagieuses. Le pouvoir médical et le corps des femmes, de Barbara Ehrenreich et Deirdre English, 2016 [1973, traduction de Marie Valera]. Dans ce livre, les deux historiennes américaines étudiaient entre autres la « psychologie de l’ovaire » (p. 42), c’est-à-dire la tendance chez les médecins depuis le XIXème siècle à attribuer à l’utérus tous les troubles de la personnalité féminine et, en dernier ressort, à considérer la féminité elle-même comme une maladie. L’enfermement des folles, qui aux Etats-Unis a fait l’objet d’une monographie en 1972 par Phyllis Chesler (Women and madness, New-York, Doubleday), est à nouveau d’actualité dans la littérature française. Nos fictions nous rappellent à notre réalité. La médecine est loin d’avoir renoncé à la « psychologie de l’ovaire » ; les tribunaux et la société encore moins.

Laisser un commentaire

Un site Web propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑