Leïla Slimani, Dans le jardin de l’ogre (2014)

Pour soulager ma conscience de n’avoir pas acheté Chanson douce, le Goncourt 2016, j’ai lu Dans le jardin de l’ogre (2014), le premier roman de cette écrivaine dont le début de carrière est unanimement acclamé. Il s’agit du récit d’une addiction sexuelle incontrôlable et de ses conséquences funestes sur la femme qui en est victime, à la manière de Nymphomaniac, le diptyque de Lars von Trier sorti un an plus tôt, en 2013. Sans doute l’actualité artistique a-t-elle joué dans la décision de publication de Gallimard.

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L’histoire : Adèle, l’héroïne, erre dans Paris, de conquête en conquête et d’un drap à l’autre, jamais satisfaite, telle la Messaline de Juvénal, le tout au nez et à la barbe de son riche médecin de mari, Richard. Dans le dernier tiers du roman, Richard fait une chute de moto et découvre le pot-aux-roses durant son hospitalisation. Suit une longue descente aux Enfers pour Adèle qui s’entend dire par sa mère une dure leçon : « les gens insatisfaits détruisent tout autour d’eux » (p. 215).

Il s’agit donc d’un roman très équilibré, construit symétriquement : excès et débauche d’abord, souffrances et résipiscences. Une scène m’a marqué en particulier : celle du boulevard de Clichy, parce qu’elle introduit des mots d’arabe et un peu de la culture maghrébine qui est au centre de son nouveau roman goncourisé (p. 146). L’héroïne erre sans but dans Paris et croise un arabe devant un bordel, qui lui dit un mot d’arabe (hchouma) signifiant un manquement moral :

« – Hchouma. – Qu’est-ce que tu as dit ? » Le vieil arabe ne lève pas la tête. Il continue de regarder en biais la danseuse qui lèche ses doigts, et les pose sur ses tétons en gémissant. « – Hchouma. – Je t’entends, tu sais. Je comprends ce que tu dis. »

Comme dans Chanson douce, le roman est en français, mais la dure réalité refait surface, en arabe dans le texte. Adèle, le prénom de l’héroïne, est masculin en arabe (Adel) et signifie « justice ». J’ai pensé en lisant ce livre à Umberto Eco, mort récemment, et à son De la littérature : « contre notre désir de changer le destin, les livres nous font toucher du doigt l’impossibilité de le changer. Et ce faisant, quelle que soit l’histoire qu’ils racontent, ils racontent aussi la nôtre, et c’est pourquoi nous les lisons et les aimons. Leur sévère leçon répressive, nous en avons besoin. »

D’autres avis :

Bouquineuse compulsive, qui a lu ce roman aussi après le Goncourt 2016,

Pages versicolores, qui évoque le film Shame de Steve McQueen en 2011 sur le même sujet,

D’une berge à l’autre, qui trouve le roman assez superficiel.

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8 commentaires sur “Leïla Slimani, Dans le jardin de l’ogre (2014)

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  1. Dans le Jardin de l’ogre j’ai tellement aimé, et plus je lis des avis sur ce livre plus j’apprends de choses et je me dis que ce livre à l’apparence simple regorge de richesse. Parce que c’est aussi une critique de la société, Adèle représente cette femme perdue comme beaucoup, emprisonnée dans une routine ignoble dont elle voudrait se défaire mais ne pouvait y arriver (bon mais quelques fois j’ai voulu la secouer parce qu’elle se plaint sans faire quoi que ce soit, ce qui est tragique aussi parce qu’elle ne fait rien pour changer son destin)

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  2. Si Chanson Douce ne m’avait pas convaincue en tant que Goncourt (je suis hyper exigeante envers les livres primés), je l’avais quand même trouvé bien et ça attise la curiosité envers l’auteure, c’est sûr.

    Le sujet de ce livre a l’air un peu particulier et je suis assez curieuse de voir la manière dont il est traité car ça reste assez casse-gueule, dans le sens où j’ai l’impression que les clichés sont presque inévitables, mais vu ce que tu en dis, Leïla Slimani a l’air d’avoir évité l’écueil, en tout cas je l’espère.

    Un livre à garder dans un recoin de sa tête 🙂

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