Les voyages du patrimoine

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Depuis près de trois ans qu’elle enseigne au Collège de France en chaire d’Histoire culturelle des patrimoines artistiques, Bénédicte Savoy s’est fait bien des ennemis en plaidant pour la restitution, aux musées africains, des œuvres artistiques pillées par l’Europe. Il faut lutter, dit-elle, contre la patrimonialisation de l’art, sa muséification empoussiérée : l’art doit être resitué là où il prendra une signification vivante et collective.

Agnès Mathieu-Daudé est conservatrice du patrimoine, et la question du lieu de vie des œuvres la préoccupe également, si l’on en croit ses deux premiers romans. Dans Un marin chilien (2016), un étranger achetait pour une bouchée de pain une usine de poissons désaffectée en Islande, symbole de la ruine de la culture traditionnelle sous l’effet de la mondialisation. Dans L’Ombre sur la lune (2017), Blanche (l’héroïne) est conservatrice de musée, spécialiste du transport international des œuvres d’art entre les musées ; Attilio (le héros) est un mafieux à qui une brigande chinoise passionnée de canidés confie la tache délicate de voler au Prado le fameux Chien de Goya.

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Ces deux personnages représentent deux manières de faire circuler les œuvres d’art : l’une, légale et en apparence innocente (celle de Blanche) ; l’autre, arbitraire et en apparence barbare (celle d’Attilio, véritable Attila des musées). Pourtant, l’on s’aperçoit peu à peuque quelque chose ne tourne pas rond dans le train-train patrimonial de Blanche, et qu’Attilio a quelques raisons défendables d’aimer et de voler des Goya…

Le roman s’achève à Séville, carrefour où se rencontrent les cultures de plusieurs continents, et ancienne résidence de Goya : à Séville, l’art prend vie, tendrement et brutalement, à nos risques et périls. Car les voyages sont toujours un danger pour les cultures : mais aussi (et heureusement) il n’y a pas de vie, de culture vraiment vivante, sans voyage.

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Musée du Prado

Ailleurs : voir l’interview d’Agnès Mathieu-Daudé à la médiathèque Emile Zola, l’excellente lecture d’Antoine Couder pour Toute la culture, et l’avis ordonné d’Une pile de livres.

Agnès Mathieu-Daudé, L’Ombre sur la lune, Gallimard, 2017, 208 p., 18€.

4 commentaires sur “Les voyages du patrimoine

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  1. Ce sont des questions qui m’intéressent particulièrement, de part mes études (je viens de terminer un master de gestion, conservation et valorisation des collections d’art et je compte passer le concours de commissaire-priseur) et à titre personnel. Or, je ne connaissais pas du tout cet auteur et j’avoue que de lire ton billet me donne envie de la découvrir, car je pense que ses romans peuvent me passionner.

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    1. Bonne chance pour le concours de commissaire-priseur ! Je recommande surtout le premier roman d’Agnès Mathieu-Daudé, Un Marin Chilien. Mais après tout, elle donne aussi des cours à l’Ecole du Louvre, ça peut être un moyen plus direct de discuter avec elle de la conservation du patrimoine…

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