Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir (1/4) : Histoire

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« J’ai longtemps hésité à écrire un livre sur la femme. Le sujet est irritant, surtout pour les femmes ; et il n’est pas neuf. La querelle du féminisme a fait couler assez d’encre, à présent elle est à peu près close : n’en parlons plus. On en parle encore cependant. » (I, 11). Voilà pour les premières lignes.

Le Deuxième sexe est une véritable encyclopédie. Ce livre qui engendra tant de polémiques encore ouvertes aujourd’hui fut écrit, paradoxalement, dans le but de « sortir d’une ère de polémiques désordonnées » (I, 33) pour parvenir à un état des lieux objectif. En deux tomes de mille pages, on apprendra tout ce que Simone de Beauvoir a accumulé de savoirs au sujet de la femme de sa société, qui est aussi la nôtre. Mais Beauvoir n’est pas essentialiste : si les hommes et les femmes sont différentes, « peut-être ces différences sont-elles superficielles, peut-être sont-elles destinées à disparaître. Ce qui est certain c’est que pour l’instant elles existent » (I, 14). « On ne naît pas femme, on le devient » (I, 285) : la fameuse formule est la première ligne du chapitre sur l’éducation des petites filles.

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La première partie s’attache à expliquer pourquoi les femmes sont si universellement opprimées à travers le monde. Bien sûr, pour elle, la raison est existentialiste. Un être humain, pour s’accomplir et exercer sa liberté dans une bonne vie, doit agir sur le monde, travailler, rencontrer des obstacles, faire des choix difficiles. Or tout ceci est interdit à la femme qui est cantonnée à un intérieur sans liberté : « engendrer, allaiter, ce ne sont pas des activités, ce sont des fonctions naturelles ; aucun projet n’y est engagé ; c’est pourquoi la femme n’y trouve pas le motif d’une affirmation hautaine de son existence » (I, 82-83). On éduque les petites filles à ne jamais se montrer violentes : pourtant « grimper plus haut qu’un camarade, faire plier un bras, c’est affirmer sa souveraineté sur toute la terre » (I, 375), et c’est une expérience nécessaire, selon elle, à l’affirmation de notre humanité. Terrible spirale : la jeune fille peut se sentir flattée lorsqu’on dit qu’elle agit avec sa poupée comme une « petite mère ». Mais c’est surtout, hélas, que les mères sont de grands enfants, « plus proches du stade infantile » que les hommes (I, 310). L’épouse au foyer « n’a aucune supériorité valable à opposer à une enfant de 11 ou 12 ans ; celle-ci peut déjà s’acquitter parfaitement des tâches ménagères » (II, 192).

Simone de Beauvoir s’attache alors à raconter la longue histoire qui a poussé les femmes à ces rôles infantiles. La section « Histoire » du premier tome, qui préfigure la grande Histoire des femmes de Michèle Perrot, tente de décrire le point de bascule dans l’équilibre des genres et l’apparition du patriarcat. À l’époque où l’homme était agriculteur, lui aussi savait essentiellement laisser faire le temps et la nature ; mais lorsqu’il maîtrisa les arts des métaux, il commença à exercer une action pleinement masculine et humaine qui était interdite à la condition de mère (I, 98). Ce n’est certes pas la partie la plus convaincante : on sent chez Beauvoir l’influence d’une historiographie désuète, celle de Michelet par exemple lorsqu’elle écrit : « des femmes ont été brûlées comme sorcières simplement parce qu’elles étaient belles » (I, 268). Mais la biologie et l’histoire n’expliquent que de manière indirecte la situation actuelle, Beauvoir le démontre brillamment par la suite.

(Cet article est la première partie d’une recension du Deuxième sexe à paraître en feuilleton de quatre épisodes : rendez-vous la semaine prochaine pour la suite!)

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Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe 1 et 2, Gallimard, 1949, 512 et 584 p., 10,50€ et 11,20€.

11 commentaires sur “Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir (1/4) : Histoire

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  1. Ce suspense à la fin ! 😮

    Je n’ai pas encore lu ce livre (commencé le premier tome il y a des années, jamais terminé), ça va peut-être me bouger les fesses pour que je le lise… Tes articles vont être très intéressants, je le sens 🙂

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      1. Mes chroniques sont très subjectives aussi, donc hein 😛 .

        En tout cas, même si je souffre du prix des livres de la Pléiade, je suis très contente que Simone de Beauvoir y accède ENFIN !

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